Une délégation des Inuit de l'Arctique devait se présenter jeudi à Washington devant la Commission interaméricaine des droits de l'Homme (CIDH) pour protester contre l'attitude des Etats-Unis, plus gros émetteurs de gaz à effet de serre du monde et responsables, selon elle, de la destruction progressive de leurs modes et lieux de vie.
"C'est notre mode de vie qui est en jeu", a dénoncé Sheila Watt-Cloutier. Récemment nommée pour le prix Nobel de la paix avec l'ancien vice-président américain Al Gore après leurs travaux sur le changement climatique, cette Inuk de 53 ans a été mandatée par 155.000 Inuit pour expliquer devant cette commission, qui dépend de l'Organisation des Etats d'Amérique (OEA), comment les Etats-Unis, par leurs rejets massifs de CO2, violent les droits de son peuple.
Depuis plus de dix ans, les Inuit constatent que les vents de l'Arctique changent et que la calotte glaciaire arctique va en s'amenuisant, des modifications qui menacent leurs traditions de chasse vieilles de plusieurs milliers d'années.
Simon Nattaq, chasseur à Iqaluit (Nunavut), a perdu ses pieds après un accident dû à l'amincissement de la glace: son motoneige a plongé et l'homme a dû attendre les secours pendant deux jours. Il ne peut aujourd'hui marcher et chasser que grâce à des prothèses.
Le gouvernement américain n'est pas tenu de suivre les recommandations de la CIDH, mais Sheila Watt-Cloutier a expliqué qu'elle cherchait avant tout une victoire morale et politique, de façon à faire du changement climatique un enjeu de poids lors des prochaines élections.
Sheila Watt-Cloutier espère surtout que cette démarche mettra un visage sur les statistiques. "Toutes ces négociations mondiales ne contiennent rien d'humain", constate celle qui fut présidente de la Conférence circumpolaire inuit, organisme pour la promotion des droits et intérêts des Inuit à l'international. "Nous allons montrer qu'il y a urgence en racontant des histoires de chasseurs inuit qui ont traversé la glace parce qu'elle fond, et nous dirons que tout cela est lié aux industries."
La fonte de la calotte glaciaire contraint déjà les ours polaires, les morses et les phoques à migrer vers le Nord à la recherche de glace solide. Les chasseurs inuit assistent à scènes déchirantes où des petits morses et phoques meurent car leur mère, trop lourde, n'a pas pu les rejoindre sur le bout de glace où ils s'étaient échoués.
L'Arctique est la région du globe la plus touchée par la hausse mondiale des températures. Dans son dernier rapport rendu public le 2 février à Paris, le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC) a averti que l'Arctique n'aurait plus de glace en été d'ici la fin du siècle, à moins de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans les pays développés comme les Etats-Unis, qui produisent un quart de la totalité de ces émissions.
Fruit des études croisées de plusieurs milliers de scientifiques, le pronostic livré par le GIEC aboutit à une perspective de +1,8 à +4° degrés Celsius d'ici la fin du siècle par rapport à la période 1980-1999, une "meilleure estimation" parmi six scénarios envisagés.
Concernée au premier chef par cette évolution, la population inuit est répartie sur plusieurs Etats: le Canada, le Groenland, la Russie et l'Alaska, où les autochtones sont appelés Esquimaux.
Source : AP