Le samedi 12 janvier 2008
Les morses de l'Arctique de plus en plus en danger.Quand on dit réchauffement climatique, on pense tout de suite ours polaires. Mais en Alaska, les spécialistes des mammifères marins se penchent aussi sur la manière dont l'évolution des températures risque d'affecter également les morses et phoques. Et se sentent impuissant à protéger ces espèces en danger.
Certes, il y a moyen d'agir contre les braconniers, la navigation et les activités pétrolières off-shore. En revanche, ils baissent les bras face à la disparition, chaque été, de l'habitat naturel de ces espèces, la banquise.
«C'est au-delà de mon champ d'action», soupire Joel Garlich-Miller, spécialiste des morses à l'antenne d'Anchorage du Service fédéral américain de la pêche et de la faune (FWS). «Je ne peux pas fabriquer des glaçons là-bas».
Cette année, entre 3.000 et 4.000 jeunes morses ont trouvé la mort sur la rive russe de la mer des Tchouktches, dans l'océan Arctique, qui borde l'Alaska et la Russie juste au nord du Détroit de Béring: au lieu de passer l'été étalés confortablement sur la banquise, des milliers de morses se sont retrouvés coincés sur la terre ferme pendant trois mois, en nombres jamais atteints jusque-là. Un surpopulation inhabituelle qui a dégénéré en bousculade mortelle.
Si la tendance se poursuit, et si les morses se retrouvent chaque été sur les côtes au lieu de se nourrir dans les riches zones marines, l'écosystème de ces zones n'y résistera pas. C'est un peu comme d'entasser tout le bétail d'une vaste exploitation agricole sur un tout petit bout de champ, explique Tony Fischbach de l'U.S. Geological Survey.
L'été passé, la glace de mer a enregistré son recul le plus important depuis que sa superficie a commencé à être mesurée par satellite en 1979, selon le Centre national de statistique de la neige et de la glace à l'Université du Colorado.
«
Nous sommes vraiment en ce moment dans une spirale mortelle», s'affole le chercheur vétéran Mark Serreze. «Une disparition totale de la banquise estivale d'ici 2030 devient une projection réaliste».
Même si on ne va pas jusque-là, l'accélération de la fonte pourrait avoir des effets dévastateurs. Dans les semaines à venir, le FWS devrait décider s'il inscrit les ours polaires sur la liste des espèces menacées par la fonte des glaces due au réchauffement climatique.
Rois sur la banquise, les ours polaires se retrouveraient en effet sur terre ferme à la merci des grizzlis. Leur proie favorite est le phoque annelé, dont ils croquent jusqu'à 43 spécimens par an. Ces phoques sont la seule espèce qui prospère sur la banquise, mais avec le réchauffement, les tanières habituellement creusées sous la glace ont fondu, laissant les bébés sans poils à la merci du froid, des renards, des ours et même des corbeaux et mouettes.
Quant au morse du Pacifique, considéré comme un des principaux maillons de la chaîne des espèces dans les écosystèmes de l'Arctique, il est particulièrement menacé par la disparition de la banquise. Les morses plongent jusqu'au tréfonds de l'océan, à la pêche aux mollusques, leur plat préféré. Mais avec les eaux qui se réchauffent, le plancton, qui constitue l'ordinaire des morses, diminue et meurt. Si les poissons ne risquent pas grand chose, les morses et baleines se retrouveraient donc le bec dans l'eau.
D'autant qu'à la différence des phoques, les morses ne sont pas champions de natation: les femelles et leurs petits ont besoin des plateformes de glace dérivantes jusqu'ici constituées par la banquise, pour chevaucher la glace tel un trottoir roulant jusqu'aux réserves de plancton, jusqu'à la mer de Béring puis la mer des Tchouktches.
Pas doués en natation, les morses coincés à terre peinent à aller chercher au large les coquillages dont ils se gavent habituellement, et s'ils le font, c'est au prix d'une énergie surhumaine... «Je pense qu'ils ne s'en sortiront pas très bien en tant qu'animaux totalement basés à terre», souligne Vera Alexander, membre de la Commission américaine des mammifères marins.
Sans glace en mer des Tchouktches cet été, les morses se sont donc retrouvés coincés sur les côtes: en colonies de 2.500 individus côté Alaska, mais par endroits plus de 40.000 côté russe.
Car sur la terre ferme, les morses, grégaires, s'entassent en colonies surpeuplées. Là, le moindre ours polaire, chasseur humain, voire avion volant bas, peut déclencher un vent de panique et une bousculade mortelle.
Se penchant sur ce sinistre épisode qui a marqué l'été côté russe, Joel Garlich-Miller du FWS émet l'hypothèse que les victimes étaient «épuisées après avoir nagé de longues heures depuis des endroits situés au large». «Nos collègues russes avaient déjà fait état de ce genre de chose.
Les animaux sont tellement fatigués qu'ils en perdent leur instinct de survie»...- On ose à peine s'imaginer tout ca!