C’est peut-être provoqué par la vue d’un cirrus, accroché si haut dans le ciel. Ou bien celle d’une vague, si puissante, lissant les contours d’un rocher perdu, à quelques mètres du rivage. D’une rivière qui serpente une vallée. Qui a l’air de vouloir se perdre. Qui lance une invitation sinueuse. D’un flocon qui prend son temps pour fondre sur le bout du nez, comme s’il voulait s’infiltrer, au lieu de perler. Messages qui passent totalement inaperçus aux yeux du travailleur pressé, de la fille aux talons hauts filant à son prochain rendez-vous. Mais qui percutent le solitaire, qui le touche dans sa fibre. Juste ici.
Qu’est-ce qui pousse les solitaires à tout larguer pour se laisser glisser sur les rondeurs de la Terre? À balayer du revers de la main un monde trop terre-à-terre? Pour ainsi balayer du regard l’horizon, à la recherche d’une île, d’une colline, d’un iceberg. D’un point d’ancrage temporaire. Temporaire, parce que la Terre tourne, alors pourquoi s’arrêter de tourner autour, qu’ils se disent sûrement.
De grands solitaires ont marqué les époques. Peut-être par égoïsme, ils ont choisi de partager leur quotidien avec les oiseaux, les dauphins, les poissons, les phoques. Peut-être par dégoût de la civilisation, ils ont trouvé refuge dehors. Ils ont troqué leurs fausses peurs pour de vraies. Pour de vrai. La Terre semble leur offrir assez de stimulations, de défis. Et toujours, leur tête tourne.
Il y a les célèbres. Comme Bernard Moitessier, qui participe à une course en solitaire et sans escale à la fin des années 60. En pleine mer, alors que l’épreuve se déroule à merveille, il décide d’y renoncer. De suivre sa propre route, sans contraintes. Sa célèbre phrase : « Je continue sans escale vers les îles du Pacifique, parce que je suis heureux en mer, et peut-être aussi pour sauver mon âme ». En plus d’être un modèle de liberté, il représente un grand défenseur de l’environnement, à sa façon.
Comme Laurence de la Ferrière qui traverse, en 2000, l’Antarctique à ski. Seule avec les froids extrêmes, les vents violents, la glace traîtresse. Seule avec la solitude. Seule avec la Terre.
Solitaires dans leurs périples, ces aventuriers restent solidaires par rapport à la Terre. Toujours prêts à se porter à sa défense. Ils en ont même le devoir, s’ils veulent que se poursuivent leurs plaisirs solitaires.
Il y a les autres, inconnus, mais tout aussi héroïques. Le vieil homme qui fait sa marche quotidienne, en forêt. Qui s’accorde un moment d’intimité avec l’humidité des mousses, la rugosité des écorces. La fille qui se lance dans l’ascension d’une montagne, seule, caressant la dureté du roc, respirant l’air plus pauvre en oxygène, quoique plus riche en émotions.
Tous ces individus semblent partager la même passion de la Terre. Tous retirent leur plaisir en se frottant aux vents, mers, cailloux, neige. Une passion, ça s’entretient. Comme la Terre.
Tant qu’il y aura des solitaires pour l’arpenter, la Terre ne se sentira pas seule. Tant qu’il y aura des passionnés des éléments, la Terre tournera.
Prochaine chronique terrestre
Dans deux jours, le 28 avril, ne manquez pas Planète Bleue.
[…] Jaser avec un marin qui revient d’un long voyage ou qui s’apprête à partir, réussit à nous convaincre que la mer est plus qu’une étendue d’eau. Une simple gorgée de son regard incite tout Terrien à lever l’ancre, au moins pour une petite sortie. […]
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