Du plomb dans l'eau

La Presse

Menées pour le compte de Service correctionnel Canada, les études de Santé Canada ont été réalisées à l’automne 2006 et à l’été 2007. Elles concluent que le plomb est omniprésent dans le réseau de distribution de trois prisons construites dans les années 40 et 50, soit le Centre fédéral de formation ainsi que les établissements Montée Saint-François et Cowansville. Cela signifie que la plupart des sorties d’eau sont affectées, des toilettes aux cuisines en passant par les fontaines.


Le Centre fédéral de formation de Laval est clairement le plus touché, avec un taux de contamination des échantillons de 77%. C’est également à cet endroit que la plus forte concentration de plomb a été détectée: 2800 microgrammes par litre (µg/l), soit beaucoup plus que la norme gouvernementale de 10 µg/l.

«À la lumière des résultats, il est évident qu’il y a une présence de plomb généralisée à la grandeur du Centre fédéral de formation», note-t-on.

Le problème, c’est que les détenus de cet établissement à sécurité minimale peuvent recevoir leur famille, ce qui signifie «la présence possible d’enfants et de femmes enceintes», note Santé Canada. On ajoute que les échantillons pris dans quatre VFP (endroit où ont lieu les visites familiales privées) affichaient des taux supérieurs à la norme.

Or, Santé Canada reconnaît que l’exposition, même à de petites quantités de plomb, peut être nocive pour la santé humaine, surtout chez les femmes enceintes et les enfants. «L’exposition au plomb est plus grave pour les jeunes enfants; leur corps absorbe le plomb plus facilement que celui des adultes et ils sont plus sensibles aux effets néfastes du plomb», a indiqué hier dans un courriel un porte-parole du ministère, Paul Duchesne.

Plan sanitaire

«Bien difficile ensuite de dire qu’il n’y a pas d’impact sur la santé, a pour sa part indiqué Bernard Bigras. Il importe donc de mettre en branle un plan sanitaire dans les plus brefs délais pour garantir à tous une eau de qualité. S’il faut que cela passe par un approvisionnement extérieur, eh bien! allons-y, car l’eau n’est pas un privilège, mais un droit reconnu à tous.»

Les établissements Montée Saint-François (51,6% de contamination) et Cowansville (35,6%) sont les autres prisons les plus touchées, avec une «une présence importante de plomb assez généralisée». Les mesures les plus élevées ont atteint respectivement 110 et 400 µg/l.

Notons que dans les trois établissements mentionnés, le quart des échantillons étaient toujours contaminés après que l’eau eut coulé pendant cinq minutes. Au Centre de formation, près de la moitié des fontaines (44%) affichaient toujours des résultats supérieurs à la norme gouvernementale après une telle purge.

L’établissement Leclerc, qui ne faisait pas partie de l’étude de 2006, affichait un taux de contamination de 50% en 2007. Après une purge de cinq minutes, toutefois, un seul endroit demeurait contaminé.

Les établissements La Macaza et Donnacona étaient les moins touchés, affichant des taux de contamination inférieure à 10%.

Curieusement, les actions gouvernementales des derniers mois se sont concentrées dans ces deux établissements: les fontaines affectées de La Macaza ont été remplacées, tandis que la source du problème a été identifiée et corrigée à Donnacona.

Ailleurs, depuis la publication du premier rapport en décembre 2006, aucune action n’a été entreprise, pas plus au Centre de formation que dans les deux autres prisons les plus affectées. On s’est contenté d’épingler des avis enjoignant aux populations de rincer les conduites avant de consommer l’eau, a indiqué Service correctionnel Canada dans un courriel transmis hier.

Quelles autres mesures ont été prises? «Service Correctionnel Canada a mandaté une firme de consultants pour identifier le problème et proposer des solutions pour réduire la présence de plomb dans l’eau. L’étude est en cours», s’est-on contenté de répondre.

Inquiétude?

Les prisonniers et leurs gardiens doivent-ils s’inquiéter? Non, répond Santé Canada, qui précise que la norme de 10 µg/l (ou 0,01 mg/l) est établie en fonction d’une grande consommation d’eau (1,5 litre par jour) sur une longue période (plusieurs années).

«Le fait de boire à quelques reprises une eau contenant des taux de plomb supérieurs à la norme ne constitue pas en soi un problème pour la santé. Évidemment, cela dépend de la concentration de plomb retrouvée dans l’eau», précise le coordonnateur de la santé publique de Santé Canada, Gilles Chartrand, dans le compte rendu d’une réunion de fonctionnaires fédéraux tenue le 22 janvier 2007.

«Santé Canada, ajoute-t-on néanmoins, ne peut confirmer que l’eau est exempte de risque pour la santé lors de la consommation. Le risque zéro n’existe pas pour les scientifiques; il y a toujours de l’incertitude.»