Mensonges, incompétence et corruption sous les déchets toxiques d'Abidjan
Contrôles bâclés, mensonges et corruption: le premier rapport officiel sur l'affaire des déchets toxiques d'Abidjan a révélé les larges dysfonctionnements de l'administration ivoirienne, décrite comme complice des pollueurs par ses négligences et son incompétence.
La société Tommy, "auteur principal" de la pollution meurtrière, n'avait ni l'agrément ni les compétences pour prendre en charge les déchets toxiques, souligne le rapport d'enquête publié mercredi par la Commission nationale sur les déchets toxiques mandatée par le gouvernement.
Le ministère des Transports a agréé Tommy le 12 juillet 2006 au mépris des procédures prévues, "favorisant ainsi (son) intervention", selon le texte.
Le samedi 19 août vers 10H00, le navire Probo Koala accoste au port d'Abidjan, avec à son bord 528 tonnes de déchets pétroliers.
Son affréteur, la multinationale Trafigura, a informé la direction du port et Tommy, choisi par sa filiale locale Puma Energie, de leur toxicité.
Le Probo Koala reçoit la visite de la police, des services de santé et des douanes, qui ne décèlent "rien d'anormal", précise le rapport.
A l'arrivée des douaniers, les camions-citernes loués par Tommy "étaient déjà reliés au bateau par des tuyaux en vue du déchargement".
A l'un des douaniers qui s'enquiert de la forte odeur dégagée, le directeur de Tommy répond "que l'analyse des spécialistes a montré que les produits ne présentaient aucun danger".
Les déchets n'ont pas été contrôlés par le ministère de l'Environnement, qui aurait pourtant dû le faire, note le rapport.
Ils sont déchargés à partir de samedi après-midi dans une douzaine de camions-citernes, payés 125.000 FCFA (190,5 euros) par Tommy pour chaque trajet jusqu'à la décharge d'Akouédo, lieu de déchargement prévu.
A 19h06, le premier camion arrive à Akouédo et y déverse sa cargaison, en toute illégalité: elle n'est pas habilitée à recevoir de tels déchets.
A sa sortie à 20H11, les agents du district d'Abidjan décident de fermer la décharge "alors que l'heure de fermeture officielle est fixée à 22H00", note le rapport. Un des agents invoquera devant la commission des "raisons de sécurité". Un autre indiquera cependant qu'il ne s'agissait que d'"un prétexte pour fuir les odeurs des produits déversés".
Tommy a versé plusieurs commissions au passage, dont 500.000 FCFA (762,2 euros) à la société Pisa-Impex qui gère la décharge avec le district. Une partie de cette somme a été donnée aux agents du district.
La décharge est officiellement fermée, mais trois autres camions viendront y déverser leur cargaison dans la nuit.
Quelques heures plus tard, le dimanche 20 août à l'aube, les riverains s'alertent des émanations pestilentielles et irritantes.
Les chauffeurs des camions-citernes choisissent alors "le premier endroit relativement caché pour se débarrasser du produit", selon le rapport.
Le gouverneur du district d'Abidjan, Pierre Amondji, ne convoquera sa première réunion de crise que trois semaines plus tard, le 13 septembre, alors que les premiers décès (il y en aura 10 au total) sont annoncés le 4.
Le mardi suivant, 22 août, alors que le scandale prend de l'ampleur, le ministère de l'Environnement tente de bloquer le Probo Koala.
Il sollicite le directeur du port, Marcel Gossio, qui dit ne pas pouvoir intervenir, alors qu'il peut en théorie "immobiliser tout navire pour enquête", souligne le rapport. Dans l'après-midi, le Probo Koala reprend la mer.
La direction du port a "fait preuve d'une complicité notoire" avec les pollueurs, et notamment Tommy, conclut le rapport.
Dans son préambule, la commission souligne que la crise ivoirienne entamée en 2002 "est caractérisée notamment par l'accentuation de la corruption et de l'impunité, avec une conséquence indéniable: le recul de l'Etat de droit".
Source : AFP