Le réchauffement climatique menace aussi la Méditerranée
Prolifération d'espèces tropicales, vie en danger dans les grands fonds, montée des eaux... Les spécialistes mondiaux de la Méditerranée, réunis en congrès cette semaine à Istanbul, dressent un sombre tableau des effets du réchauffement climatique sur la Grande Bleue.
Spécialiste des espèces invasives, Bella Galil, de l'Institut national israélien d'océanographie, invitée avec quelque 800 scientifiques au 38e congrès de la Commission internationale pour l'exploration scientifique de la mer Méditerranée (CIESM), est la première à clamer son inquiétude.
Des poissons et des algues tropicales ayant pris le chemin de la Méditerranée orientale, on en connaît depuis le percement en Egypte du Canal de Suez, en 1869. Ils représentent aujourd'hui pas moins de 80% des 550 espèces allogènes recensées dans le bassin méditerranéen.
Mais au temps du réchauffement planétaire, ces organismes sont selon la chercheuse autant de "candidats qui attendent dans la Méditerranée de se répandre d'avantage, parce qu'ils sont à l'origine adaptés à la chaleur alors que la plupart des espèces locales sont adaptées au froid".
Ce "conflit des civilisations" en eau salée, qui a déjà commencé avec la propagation d'invertébrés tels que le bivalve Brachidantes pharaonis des côtes du Levant à la Corse ou la méduse Rhopilema nomadica jusqu'au Péloponnèse, pourrait s'avérer fatal à nombre d'habitants originels, prévient Mme Galil.
"Dans l'Atlantique, les espèces 'froides' peuvent monter jusqu'à Bergen (en Norvège), mais en Méditerranée il n'y a pas de Bergen, ça s'arrête à Marseille (sud de la France)", s'exclame-t-elle. "Les espèces ne peuvent pas passer par le continent, (pour elles) ça s'arrête dans la marina de Marseille".
Plusieurs scientifiques réunis à Istanbul évoquent un réchauffement moyen de l'eau méditerranéenne de l'ordre d'un degré au cours de la décennie passée.
Un programme lancé par la CIESM a pour sa part révélé que la température s'accroissait également dans les fonds marins, en l'occurence de 0,3°C entre 1985 et 2000 selon des captages effectués à la hauteur du détroit de Gibraltar. Une évolution apparemment minime, mais potentiellement lourde de conséquences.
"Dans les eaux profondes, les organismes sont adaptés à des températures constantes, de l'ordre de 13°C, ils ne sont pas habitués aux changements saisonniers", explique Frédéric Briand, le directeur de la CIESM. "Et là, ça va faire une grosse différence".
Troisième volet du tryptique, la montée des eaux, causée par la fonte des glaces et dans une moindre mesure la dilatation de l'eau sous l'effet de la chaleur, a déjà débuté en Méditerranée, explique le professeur Bouchta El Moumni, de l'Université de Tanger (Maroc).
"Durant les années 60, il y avait la mode des bâtiments 'les pieds dans l'eau'. Dans beaucoup de zones ces constructions sont déjà envahies ou démolies par l'élévation du niveau de la mer", relate le scientifique. "Un degré de plus, cela fait une avancée du trait de côte de plusieurs dizaines de mètres".
Le pire reste pourtant à venir, selon le chercheur: "Des aménagements côtiers vont disparaître, les habitations seront endommagées, les systèmes lagunaires (...) vont être annexés au milieu marin".
La situation tourne au dilemme pour Maria Snoussi, professeur à l'Université de Rabat, dont les travaux ont mis en évidence le rôle néfaste des barrages fluviaux dans l'approvisionnement des écosystèmes côtiers en sédiments et en éléments nutritifs.
"Au Maroc, on est déjà dans un stress hydrique. Et bien, le seul outil pour faire face au changement climatique c'est la construction de plus de barrages. Mais (alors) on condamne les écosystèmes côtiers", résume-t-elle. "Il va falloir faire un choix".
Source : AFP